A la veille des élections de mai 2014, l’équipe ADCoST (Analyse de discours, Corpus, Sciences des Textes ; EA ELLIADD) de l’Université de Franche-Comté propose de fédérer un réseau de chercheurs afin de constituer un observatoire des discours et contre-discours relatifs à la construction européenne. L’initiative répond à la volonté de l’équipe issue de l'Université de Franche-Comté de traiter la communication politique à partir des formes et matérialités discursives en circulation dans l’espace public ; et notamment en associant analyse des discours politiques et analyses des discours médiatiques.
Le projet « Discours d’Europe » cherche donc, d’une part, à interroger les formes discursives par lesquelles une institution - l’Union européenne - se voit attribuer une consistance politique susceptible d’en assurer la reconnaissance dans le contexte des mondialisations contemporaines, d’autre part, à comprendre la nature des contre-discours qu’elle suscite, les argumentaires, les formules, les registres de la contestation. Au centre de l’analyse : les notions de discours, d’espace public et de communication.
L’Europe en contexte
Des auteurs comme Giddens ou Beck considèrent la mondialisation comme un fait social total dont il convient d’interroger, entre autres choses, les effets sur le devenir de l’Etat-nation et la construction d’une Europe cosmopolite. Reprenant le constat, nous souhaitons, dans le cadre de ce projet, interroger les discours d’Europe relatifs au contexte contemporain de mondialisation. Il semble en effet que définir la place de l’Europe dans le monde contribue à la définition même de l’Europe, de son espace commun, de son récit, de ses valeurs et de ses normes.
L’Europe ne semble pas en mesure de répondre aux angoisses et aux craintes, légitimes ou non, liées aux processus de mondialisation. Des enquêtes récentes illustrent le constat (notamment « Les Européens face à la mondialisation », par la Fondation pour l’innovation politique). Autre exemple : depuis le début des années 2000, les institutions de l’Union européenne apparaissent, aux yeux de nombreux antimondialistes, altermondialistes et autres « indignés », comme une cible au même titre que les grandes institutions et firmes internationales. Appareils idéologiques de l’économie néolibérale, l’« Europe du capital » et la « mondialisation sauvage » se conjugueraient par ailleurs pour éloigner les citoyens des sphères de décision et pour diluer les responsabilités politiques. Au cœur du contexte européen aussi : la question de la souveraineté et des identités régionales et nationales.
En partant de ce constat, nous souhaitons interroger, au prisme des discours, le rôle et la place que revendique l’Europe dans le monde, et notamment sa capacité à se fonder comme un territoire politique assurant une médiation efficace entre l’individuel et le collectif. Quel projet politique l’Europe propose-t-elle à l’heure des mondialisations ? Quelles ressources identitaires l’Europe, ses acteurs et les médias offrent-ils aux citoyens ? L’Europe se définit-elle par sa capacité de réforme et de transformation ? Constitue-t-elle une ressource pour la réappropriation citoyenne de l’historicité ? C’est ce type de questions que l’Europe en contexte pose à l’observateur.
L’Europe comme objet
La formule de Jacques Delors, Président de la commission européenne de 1985 à 1995, est devenue célèbre : « L’Union européenne est un objet politique non identifié ». Et, pour beaucoup, la formule est toujours d’actualité. Qu’est-ce que l’Europe ? Elle est une institution au double sens du terme : une institution politique et une institution sociale au sens de Searle. Elle est, d’une part, une institution dont les arènes – et en premier lieu le parlement – offrent une consistance et une visibilité à un territoire politique aux frontières relativement floues. Elle est, d’autre part, une réalité institutionnelle au sens de Searle, soit un fait social dont l’existence est dépendante de l’observateur et qui, de fait, revêt un élément de subjectivité ontologique. L’Europe n’existe que si l’on s’accorde sur son existence et une définition. Autrement dit, elle est une affaire de discours et semble se matérialiser, au sein de l’espace public, dans l’acte de communication. L’intérêt du travail est donc d’appréhender l’Europe dans sa consistance discursive, c’est-à-dire, dans ce rapport au monde par lequel elle s’institue comme réalité politique.
L’Europe en discours
L’approche adoptée par le projet est donc résolument discursive au sens où nous considérons le discours comme le lieu où les acteurs, les stratégies et les pratiques politiques acquièrent leur consistance dans l’espace public. Et en usant de l’expression « discours d’Europe », nous attirons l’attention sur l’existence d’un faisceau de discours qui se caractérise à la fois par ses régularités et sa dispersion. Tous les discours mobilisés pour dire, faire et défaire l’Europe sont susceptibles d’être étudiés : discours institutionnels, médiatiques, militants… Ce faisceau de discours est l’objet d’analyse qui unit les membres du réseau.
La perspective adoptée relève d’une analyse de discours qui emprunte autant aux sciences des textes et des discours qu’à la communication, à la sociologie, à l’histoire, à la philosophie et aux sciences politiques… Si l’entrée se fait par le texte et le discours, l’interprétation s’exprime donc dans l’interdisciplinarité. A ce titre, le réseau initié à la croisée des sciences humaines et sociales se veut clairement un espace accueillant de réflexion sur le regard que, depuis sa discipline, chacun porte aux discours, un espace de rencontre entre des manières de faire de l’analyse de discours. La diversité des méthodes (analyse argumentative, lexicologique, sémantique…), la variété des objets et des types de corpus ne doit pas constituer un obstacle au dialogue entre les disciplines mais une force pour la dynamique collective du projet. La transdisciplinarité du projet est déjà assurée par la fédération de chercheurs en analyse du discours politique et médiatique, en sciences de la communication, en sciences politiques, en sociologie et en philosophie politique.
Perspectives
Si les élections de mai 2014 constitueront un moment fort pour les membres du réseau, elles ne constituent pas l’horizon du projet. Les initiateurs du réseau souhaitent clairement voir se pérenniser le dialogue au-delà de cette première échéance. A cette fin, les initiateurs du réseau proposent :
- la mise en réseau d’un nombre significatif de chercheurs et de centres de recherche en Europe;
- la mise en place du présent site « Discours d’Europe » dont la forme initiale et minimale sera retravaillée au regard des attentes et des applications souhaitées par les membres du réseau;
- l’organisation de journées d’étude et de débat (la première aura lieu à Besançon en septembre 2013);
- l’ouverture d’une ligne éditoriale continuée susceptible d’accueillir et de diffuser efficacement les travaux du réseau dans la communauté scientifique et au-delà.
S’ils ne visent pas à répondre à la question normative de ce que devraient être une démocratie et un espace public européen, les travaux proposés par les membres du réseau participeront néanmoins à alimenter le débat relatif à la construction d’une Europe politique.